La pauvreté n’est plus un vain mot au Gabon, mais toute une réalité visible et observable quotidiennement. Depuis mon arrivée au pays, j’ai constaté avec amertume et désolation plusieurs faits qui brisent mon cœur mais renforcent ma détermination à faire comprendre à chacun de nous et aux gouvernants les responsabilités qui nous incombent en tant que citoyen gabonais. C’est dans cet esprit que Jeudi et samedi passés, je me suis rendu à la décharge publique de Mindoubé située dans le 5ème arrondissement de Libreville pour voir et comprendre comment des compatriotes y vivent « grâce » aux ordures ménagères.
Il n’a pas été aisé pour moi de me rendre à la décharge publique de Mindoubé, mais la seule volonté de mettre en lumière la misère que d’autres Gabonais vivent, a largement suffit pour m’encourager. De plus, nous avons souvent des a priori sur le comportement de ceux qui y vivent alors qu’il n’en ait rien si le respect d’autrui demeure.
En route pour la décharge
Le jeudi 27 Novembre je décide de me rendre à la décharge publique de Mindoubé aux environs de 14H. En prenant le clando de IAI au carrefour poubelle, plusieurs idées fusaient dans ma tête car je n’avais aucune idée de ce qui m’y attendait ni comment ceux qui y vivent allaient me recevoir. La première chose qui m’a frappée dès ma descente du clando, c’est le goudron qui s’arrêtait à près de 500 mètres de la décharge. C’est un tronçon qui semble être en latérite mélangée avec du gravier, rien de bien praticable pour ceux qui habitent dans les parages. Sans perdre foi, je me mis à marcher en direction de la décharge tout en observant l’environnement qui habillait se triste endroit.
Après une quinzaine de minute, me voici dans un carrefour qui fait office de marché. On y voit des hommes et des femmes s’affairant à ranger des affaires étalées à même le sol et sur des étables. En regardant autour de moi, j’ai aperçu dans un bistrot deux femmes et un homme qui se rafraichissaient en buvant des bières. Je me suis approché d’eux, fit les salutations et déclina mon identité et bien sûr l’objet de ma venue. Au début il eut des difficultés à comprendre ma démarche, après une bonne heure de négociation, ils acceptèrent enfin de m’expliquer comment ils vivent dans cette décharge, leur travail et les dangers qu’ils rencontrent. C’est à la suite de cet accord qu’ils me donnèrent rendez-vous pour samedi matin.
Au cœur de la décharge publique
Le samedi matin c’est avec enthousiasme que je me suis levé pour me rendre à la décharge publique en dépit de la forte pluie qui s’était abattue la veille nuit sur la capitale. J’avais eu un sacré bol le jeudi parce que le monsieur qui était dans le bistrot avec les deux dames était l’un des plus anciens de la décharge. Il se nomme NGUEMA EYI Jean alias Elvis et est âgé de 52 ans marié et père de plusieurs enfants. Papa Elvis est donc celui qui devait me servir de guide dans cette décharge. A mon arrivée au bistrot à 10H, papa Elvis était déjà là et n’attendait plus que moi pour débuter la journée ; Dès qu’il m’a vu, sans perdre une seconde nous sommes sitôt allés à la décharge elle-même.
C’est une colline qui nous a menée vers la décharge, une fois au sommet le désolant spectacle qui a été offert à mes yeux était plus que révoltant : Des compatriotes s’acharnant à récolter les ordures ménagères déversées par les bennes et rangées par les bulldozers de la société CLEAN SERVICE AFRICA (Ancien SOVOG). Ce sont des hommes des femmes des enfants, jeunes moins jeunes et vieillards qui y travaillaient avec tous les dangers que cela impliquent. La décharge de Mindoubé est une immense montagne d’ordures qui surplombe et pollue gravement le fleuve KOMO qui se jette dans l’océan atlantique ; C’est l’estuaire du Gabon, c’est d’ailleurs le nom de la province.
Papa Elvis m’explique que plus de 500 personnes y travaillent quotidiennement, La majeure partie de ces personnes vit aux alentours de la décharge créant ainsi un quartier, non, un village de plusieurs milliers de Gabonais. Hormis ces personnes, d’autres viennent des quartiers de Libreville comme NKEMBO, NTOUM, Les PKs, LALALA, MONTAGNIER, OWENDO etc, mais aussi des Ouest Africains. Ce sont des chefs de familles entières qui subviennent aux besoins quotidiens des leurs à partir de la vente des ordures publiques.
Saviez-vous que plus de 300 navettes effectuent 24h/24 les camions de la société CLEAN SERVICE AFRICA, sans parler des autres prestataires. Un véritable balai continuel de bennes d’ordures qui ne règle malheureusement pas le problème d’ordures ménagères à Libreville.
« De la ville à la décharge et de la décharge à la ville »
Le travail de ces gabonais à la décharge de Mindoubé n’est autre que le recyclage des certaines ordures ménagères ou industrielles telles que : les chaussures, les sacs, les canettes de jus, les bouteilles cassables, les papiers administratifs, les bouteilles d’eau plastique, les pneus de voitures, la ferraille, les flacons de médicaments, toute sorte de plastiques, les vêtements, le cuivre, l’inox, le bronze etc. Le travail commence par la récolte de ces ordures ensuite le tri et l’exposition sur les étales situées au carrefour transformé en marché.
Papa Elvis m’explique que les ordures viennent de la ville pour la décharge mais ensuite repartent de la décharge pour la ville sous la même forme mais pas forcément pour le même usage. Exemple, les papiers administratifs servent à l’emballage des gâteaux qui sont revendus dans les quartiers. Pas tous mais une partie. Les canettes de jus sont revendues aux vendeurs de jus comme le Bissap (jus d’oseille) ou le lait caillé. Les bouteilles plastiques pour l’eau vendue à la sauvette dans les carrefours de Libreville, etc. Hormis les produits qu’ils vendent, eux-mêmes s’y fournissent largement en matériaux de construction, en meubles, vêtements, en téléphones, montres et autres accessoires.
Dans le décharge de Mindoubé plusieurs dizaines d’accidents ont été enregistrés durant cette années, et mêmes des morts. Comme accident, papa Elvis m’a présenté un jeune homme d’une vingtaine d’année qui avait un bras coupé, un autre qui est son jeune fils qui avait le bras gauche complètement déboité. Ou un autre encore qui est devenu borne. Les décès surviennent lors de la récolte de jour comme de nuit, les bulldozers sont généralement responsables de ces accidents. Le dernier décès enregistré est survenu il y a quelques semaines, pendant que le jeune homme récoltait les ordures, les chenilles du bulldozer ont roulé sur le garçon ce qui lui a laissé aucune chance de survie. En plus de ces accidents, les maladies sont courantes chez ceux qui travaillent dans la décharge, les infections pulmonaires, les cancers, les problèmes dermatologiques, le paludisme et autres infections.
Dans la plupart des cas, ces gabonais ne sont pas couverts par la CNAMGS. En demandant à papa Elvis pourquoi certains ne sont pas assurés, à lui de me répondre que ces personnes n’ont parfois pas de moyens pour se rendre dans les centres d’enrôlement avec leurs nombreux enfants, le manque d’information ou la perte de confiance en l’administration. Autant de raisons qui écartent ces gabonais de la couverture médicale.
La vie autour de la décharge
La décharge de Mindoubé est comme une montagne dont le versant Nord-Ouest est habité par les travailleurs de la décharge, au Sud se trouve le marché, l’Est est baigné par le fleuve KOMO, et l’Ouest par le cimetière. La route conduisant au quartier des travailleurs de la décharge est jonchée d’une marre polluée par les eaux usées déversées par les sociétés de vidange des fosses sceptiques. En suivant la route on arrive en plein cœur de ce quartier pauvre où vivent des familles entières dans des maisons de fortune et dans une atmosphère polluée constamment par les produits chimiques et les odeurs nauséabondes de la décharge. Certains des enfants qui y habitent apprennent dans les établissements primaires et secondaires de Libreville.
En visitant ce quartier j’ai pu constater la pollution du fleuve KOMO et de la rivière par les sociétés de gestion des ordures et celles chargées de vidangées les fausses sceptiques. Sur place j’ai pu voir des enfants se laver dans ces eaux, la plupart utilisent cette eau polluée pour faire la lessive et la vaisselle augmentant ainsi les risques de maladie. Après une forte pluie, une grande partie de ce quartier est inondée de toute part, ce qui ma foi empire la situation déjà difficile de ces compatriotes.
Cette visite a véritablement et profondément marqué mon esprit, je n’imaginais pas une seule seconde que des Gabonais vivaient dans une aussi importante pauvreté mais surtout dans l’indifférence totale. Parfois quand nous nous plaignons de certains manquements, je pense que d’autres comme ceux qui vivent à la décharge de Mindoubé ont davantage de plaintes à faire. J’en appelle à la conscience de tous, à la solidarité de chacun de nous, à la responsabilité de l’Etat et de la municipalité afin que ces gabonais à part entière obtiennent l’aide et le soutien nécessaires pour vivre dignement.
Une vidéo de la rivière polluée par les sociétés de vidange et de gestion des ordures urbaines.
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