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Les chaînes du messianisme politique au Gabon

Depuis 1990 le Gabon est en attente d’une alternance politique. Les nombreuses tentatives enregistrées lors des différentes joutes électorales n’ont malheureusement pas été à la hauteur des attentes malgré le caractère messianique attribué aux leaders politiques et aux gouvernants. Réflexion.

Un soir alors que j’étais à ma terrasse en train de suivre une émission sur Facebook Watch, l’un des intervenants avait lâché un mot : messianisme politique. Ce fut pour moi une révélation. « Eurêka ».

En effet, en réfléchissant notamment à la situation politique du Gabon, je me suis rendu compte que l’une des raisons des multiples échecs à l’alternance politique était cette logique messianique inconsciemment admise par les gabonais. Je m’explique.

Le candidat naturel

Lorsque nous regardons de plus près la façon dont le Parti démocratique gabonais (PDG) a dirigé ce pays, pis, la façon dont ce parti politique a façonné les consciences, on se rend bien compte qu’une culture messianique des personnalités politiques était à la base de leur gouvernance.

Prenons l’exemple du défunt président Omar Bongo et même de son successeur de fils, Ali Bongo. A l’approche des élections présidentielles, leurs militants leur demandaient de se représenter pour briguer un nouveau mandat considérant qu’ils étaient le « candidat naturel ».

Considéré une personne comme étant un candidat naturel revient à lui attribuer un caractère divin ou messianique ,car nulle autre personne que ce « candidat naturel » ne peut l’être, ne peut gouverner le pays.

Tout d’abord cette façon de penser est antidémocratique en plus de favoriser un type de culte de la personnalité qui érige la personne au rang de messie.

La force de cette logique repose sur les représailles envers tous ceux et celles qui iront contre elle d’où son acceptation par tous. Nous sommes de plein pied dans du dogmatisme.

L’imaginaire messianique

Durant de longues années, plusieurs personnalités étaient devenues incontournables sinon divin et messianique dans leur province. Impossible de concevoir ou d’imaginer leur localité sans elles. Ces personnalités semblaient être à l’origine de tout, une forme d’homme providentiel. 

Certains parmi ces « messies » avaient réussi à devenir l’Alpha et l’Omega de tout ce qui se passait dans leur localité.

Prenons le cas d’Idriss Ngari dans la ville de Ngouoni. Ce générald’armée et ancien ministre de la Défense est connu pour sa rigueur, avait construit des écoles, des maisons, goudronné des routes, en somme il avait effectué des travaux qui faisaient de lui un incontournable auprès des natifs de sa contrée. Idem pour le défunt Jean Massima, ancien Trésorier-Payeur-Général dont la respectabilité était incontestée. Il est considéré comme le créateur du Koula-Moutou moderne, une ville de la province de l’Ogooué Lolo. Il est à l’origine de l’aménagement des voiries, de la construction d’écoles, d’infrastructures hôtelières et de bien d’autres édifices dans cette ville. Nous pouvons aussi citer George Rawiri à Lambaréné qui fut la deuxième personnalité du pays mais la première dans le Moyen-Ogooué.

Dans la province du Woleu-Ntem, plusieurs hommes politiques et cadres de la Nation affiliés au pouvoir ont façonné leurs localités comme Monsieur Ndong SIMA avec ses nombreuses sociétés. Pour finir, Pierre Claver Maganga Moussavou, opposant et homme d’affaires. Ce Monsieur a également créé des entreprises à Mouila dans le domaine agricole et a dirigé la Mairie de cette ville avec sa femme durant de nombreuses années.

Autant d’exemples qui revêtent deux aspects. Tout d’abord le désir de bâtir sa contrée et ensuite en devenir le maître absolu, le messie. D’ailleurs lors des campagnes électorales, ces personnalités ne se privaient pas de citer leurs œuvres pour convaincre les populations de les voter ce qui était un argument de taille face aux opposants.

De toutes ces personnalités, celui qui a vulgarisé mais surtout magnifié cet imaginaire messianique et divin est Jean François Ntoutoume Emane lorsqu’il fut Premier Ministre du Président Omar Bongo durant sept années. En effet, lors de ses sorties médiatiques il ne manquait pas de dire : « Sous la très haute inspiration de son Excellence le Chef de l’Etat » ou encore « Sous les très hautes instructions de son excellence le chef de l’Etat ». Cette formule qui est consacrée de nos jours, a amplifié le culte de la personnalité du Président de la République mais surtout l’a mise sur un pied d’estale divin et messianique.

Cette logique a naturellement été appliquée au niveau des provinces avec l’érection de ces dignitaires au rang de messie car pourvoyeurs d’emploi et bâtisseurs. Aucune action ne pouvait et ne peut se faire sans la « très haute inspiration » soit du ministre ou député de la localité quand l’action est entreprise par les populations.

Enchaînés par cette logique !

Nul n’est notre messie, seul le peuple l’est. Oui nous devons nous défaire de cette logique et prendre notre destin en main.

La dangerosité de cette logique est qu’elle s’est immiscée dans nos vies au quotidien. En effet, pour avoir un travail nous sommes obligés de compter sur un parent bien placé. Lorsqu’on a un problème au commissariat, on appelle un parent qui travaille dans un corps habillé pour le régler. Lorsqu’on va à l’hôpital on cherche à être reçu en premier en appelant un parent médecin qui y travaille. Tout ce que nous souhaitons obtenir provient d’une tierce personne telle la providence.

Comment prétendre changer le pays quand nous considérons que c’est d’autres personnes qui peuvent le faire ? Certains attendent que la France change ce régime, d’autres espèrent que Dieu fera l’affaire, d’autres encore attendent une personne qui n’a jamais travaillé avec le régime PDG. Tout ceci n’est qu’illusion. La seule réalité est l’initiative individuelle et collective. Nous devons nous défaire de cette logique et arrêter d’attendre que d’autres fassent le travail à notre place. Ce paradigme est le résultat de la logique messianique, elle peut être assimilée à l’infantilisation et à la prise d’otage des consciences par celle-ci.

Aucun changement n’est venu d’une personne mais plutôt d’un mouvement populaire, de l’implication de tout un chacun. Maintenant que vous le savez, à vous d’agir.

Barack Nyare Mba

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espritafricain

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