Pause café avec Tahéruka Shabazz, candidat à l'élection présidentielle en Centrafrique.

Le candidat du PRP Tahéruka Shabazz. CP: barack Nyare Mba

La Centrafrique vit depuis bien des années une longue crise politique aggravée par une guerre civile qui divise profondément la Nation et freine le développement du pays. C’est en tant que candidat à l’élection présidentielle de 2015 que Monsieur Tahéruka Shabazz a répondu à nos questions sur la situation de son pays et sur le projet de son parti politique.

 Esprit Africain : Bonjour Monsieur, pouvez-vous vous présenter auprès de nos lecteurs ?

Tahéruka Shabazz : Je m’appelle Tahéruka Shabazz je suis un panafricain de nationalité Centrafricaine, qui aujourd’hui a plusieurs casquettes car je suis d’abord diplômé en sciences de matières (physique des plasmas et milieux diphasiques) et en Sciences humaines (philosophie et histoire). J’ai également enseigné en France à l’université de Pau. En plus de cela je suis un agro-entrepreneur qui a crée une société agro-alimentaire et enfin je suis président d’un parti politique  panafricain dénommé Parti du Renouveau Panafricain (PRP), c’est un parti d’obédience panafricaine.

Esprit Africain : Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce parti ?

Tahéruka Shabazz : Ecouter moi je pense  qu’aujourd ‘hui en 2014 si on regarde bien l’actualité, je crois que ceux de ma génération et mes cadets, parce je suis né en 1978, doivent se dire que notre temps est arrivé. Nos aînés ont fait des choix politiques, aujourd’hui on peut juger de la pertinence de leurs choix. Mais l’histoire montre qu’il est temps pour nous de passer à l’acte, de montrer que nous pouvons infléchir le cours l’histoire et d’apporter notre pierre à l’édifice. Et l’actualité Centrafricaine m’a poussée plutôt que prévu à prendre mes responsabilités et apporter ma contribution dans la résolution de la crise Centrafricaine.

Esprit Africain : En parlant de crise Centrafricaine, votre pays vit une crise politique sociale et politique sans précédent. Selon vous quelles en sont les causes profondes ?

Tahéruka Shabazz : Je les cherche toujours de façon endogène, je les cherche en nous-mêmes parce que je ne pense pas que l’Etat est responsable de tout. En revanche, des hommes et des femmes qui ne sont pas dans un discipline de pensée d’action, qui n’ont pas de bases de repères peuvent être des prédateurs pour la Nation. Je prends le cas de l’appareil exécutif, depuis l’indépendance en 1960 en Centrafrique, nous vivons une instabilité continue dans la vie politique. Si on analyse de façon serrée l’alternance des présidents, vous verrez  qu’à chaque fois un président civil est toujours suivi d’un président militaire. On peut le faire entre nous, vous avez : Le premier président c’est Dacko un civil suivi de Bokassa un militaire, à nouveau Dacko un civil suivi de Kolingba un militaire, un civil Patassé encore suivi d’un militaire Bozizé ensuite DJotodia un civil. Cela dénote clairement d’une instabilité, donc avant même que la France ou les pays frontaliers qui ont des ambitions sur les richesses du pays n’interviennent, nous-mêmes Centrafricains avons un problème fondamental car la culture politique n’est pas assez aguerrie.  Ceux qui ont dirigés notre pays depuis 1960, n’ont pas eu cette intelligence de réfléchir sur le bonheur des Centrafricains. Donc les causes profondes sont l’incompétence, l’inconsistance des dirigeants Centrafricains aggravé par les prétentions impérialistes de la France que l’on sait depuis cent ans en Centrafrique.

 Esprit Africain : Vous êtes en train de dire que c’est l’héritage colonial qui cause en réalité ces problèmes ?

Tahéruka Shabazz : C’est l’héritage intellectuel colonial puisque, vous savez je suis très pragmatique dans la politique, je ne suis pas de ceux qui estiment que c’est méchant de la part des occidentaux de nous attaquer, puisque c’est ainsi qu’agissent les pays et les royaumes. On peut également prend le cas de Shaka Zulu qui avait un empire plus grand que l’Europe qu’il a constitué par la guerre, par la main mise, par la géopolitique, donc on ne peut pas en vouloir aux occidentaux à s’assurer les ressources naturelles de grande importance en Afrique. En revanche on doit en vouloir à nos dirigeants, à nous-mêmes, à la jeunesse Africaine en général et Centrafricaine en particulier, de ne pas prendre conscience du monde dans lequel nous vivons, de croire que nous avons des amis ou quoi que ce soit. Non, nous avons tout simplement des intérêts à défendre. A l’heure actuelle notre intérêt est la concorde nationale, la réconciliation et la paix et cela doit concerner la société civile, les politiques, les groupes armés etc.

ESPRIT AFRICAIN : Dans la presse occidentale comme africaine on dit que c’est une guerre entre les musulmans du nord et les catholiques du sud, qu’est ce qui en est véritablement ?

Tahéruka Shabazz : Vous savez depuis 1990 la prophétie de Huntington sur la guerre des mondes, la guerre des continents, explique que nous sommes dans un monde bipolaire qui répond à un schéma. Vous avez remarqué que depuis les attentats de 2001 aux Etats-Unis, il y a une guerre contre le terrorisme, c’est un peu le cheval de bataille de tous les dirigeants occidentaux en mal de popularité donc qui font les guerres pour remonter dans les sondages. Dans le cas Centrafricain il y a une complexité que les occidentaux ne veulent pas présenter  à la face du monde donc ils mettent en place ce schéma de guerre entre Chrétiens musulmans alors que sur le terrain même ça n’existe pas. Effectivement ce que nous avons vu, des milices armées financées  par forces obscurantistes, joué un mauvais jeu en instrumentalisant les confessions religieuses alors que les populations n’ont jamais adhérer à cela. Avant que nous nous rencontrions, j’étais avec mon frère Mouhamed Guimbis Sy qui est président de l’Association des Intellectuels Musulmans qui me montrait une vidéo de sa maison protégée par des chrétiens, c’est dire que sur le terrain cette guerre n’est pas religieuse. On fait d’ailleurs face à un cas de conscience par rapport à ce qui est écrit dans les médias, la presse africaine ne va pas sur le terrain pour voir d’elle-même ce qui s’y passe mais se contente des dépêches de l’AFP qui ont un intérêt à présenter les choses ainsi. Donc il n’y a pas de guerre de religion  il y a une guerre civile en Centrafrique instrumentalisée par les forces obscurantistes.

Mr.Tahéruka Shabazz Cp: Barack Nyare Mba

ESPRTIT AFRICAIN : Quels étaient les rapports entre les chrétiens et les musulmans avant le conflit ?

Tahéruka Shabazz : Ceux qui présentent le caractère religieux du conflit, si on prend le cas des SELEKA qui sont musulmans et qui disent que ces derniers sont oppressés parce qu’ils sont minoritaires alors que ce sont eux qui gèrent l’économie quand on sait que qui contrôle l’économie contrôle le pays, c’est assez étrange de leur part de le dire. Donc à l’heure actuelle on ne peut pas parler d’une oppression des chrétiens sur les musulman ou vis versa, il y a une harmonie, un dynamisme économique reconnu aux musulmans et les chrétiens qui sont majoritaires à plus de 80% n’ont jamais voulu chercher à brimer ou à oppresser avant la crise, jamais il y a eu ce genre de chose.

ESPRIT AFRICAIN : Vous êtes candidat à la future élection présidentielle Centrafricaine de février 2015, quel est votre avis sur la gestion de la crise par la présidente Samba-Panza ?

Tahéruka Shabazz : Vous savez c’est difficile de gérer une situation comme celle que connait la Centrafrique, parce que c’est la première fois que nous voyons un tel niveau de chaos si  bien que tout l’appareil étatique est complètement grippé, plus rien ne fonctionne à l’heure actuelle d’ailleurs la transition ne gère qu’une partie de Bangui (La capitale) le reste échappe à l’autorité de transition; donc faire des critiques serait trop facile mais en revanche on peut faire des suggestions par rapport à ce que l’on voit. On remarque qu’il y a un manque de volonté de la part de la transition car dans cette transition il y a des hommes et des femmes qui ont intérêt que cette crise perdure, alors que la perpétuation de la crise enfoncera le pays dans la division. La transition devrait travailler avec des hommes et des femmes qui veulent le retour de la paix, la réconciliation nationale, relancer l’appareil économique administratif et préparer les conditions des élections générales à venir. C’est à cela qu’on attend de la transition.

ESPRIT AFRICAIN : En tant que candidat, quelle place doit-on réserver aux Balaka aux anti-balaka, à la SELEKA pour la paix en Centrafrique ?

Tahéruka Shabazz : Nous sommes tous frères, dans une famille il y a des frères qui sont bandits d’autres sont réfléchis, donc il faut qu’on compose avec tout le monde. Il est hors de question d’exclure qui que ce soit dans la réconciliation. D’ailleurs le PRP à très tôt pris contact avec les autorités du pays pour proposer des solutions au travers d’une feuille de route que nous avons remis à la ministre de la réconciliation de l’époque, Madame Antoinette Montaigne et ces propositions ont été remises à la présidente de la République. Nous espérons qu’elles seront comprises et appliquées sur le terrain. C’est dire que nous avons le souci de trouver une solution commune au conflit. Nous avons posé les préalables et pris en compte les différentes parties et avons posé des obligations pour que les groupes armés fassent des concessions comme les autres pour sortir de la crise.

ESPRIT AFRICAIN : Quels sont vos solutions pour sortir le pays de cette crise qui est aussi économique?

Tahéruka Shabazz : Je suis panafricain, je ne vois pas nos frontières comme des barrières infranchissables. Je pense qu’au vu de notre doctrine qui est le Kleperisme , le capital humain est au centre de tout. Il est impossible de faire toutes les réformes et de réaliser tous nos projets sans investir d’abord dans le capital humain. Ce capital est à l’échelle africaine, que ce soit sur le continent ou dans la diaspora, des expertises existent, le capital aussi, le PRP cherchera à rentrer en contact avec ceux-là qui veulent aider la Centrafrique. Aujourd’hui nous devons investir dans l’agriculture mais une agriculture familiale qui dans les années à venir pourra vendre ses produits aux occidentaux et les autres qui connaissent une agriculture intensive donc polluante alors que chez nous les terres sont encore saines. Vous savez la Centrafrique est un pays enclavé intérieurement et extérieurement. Pourquoi ? Parce-que  en dehors de la capitale tout le reste du pays est à l’abandon, il n’y pas de voies ferroviaires aériennes fluviales ou terrestres dignes de  ce nom pour relier tout le pays et booster l’économie. C’est là l’un des grands objectifs du PRP. Pour suppléer le problème de l’importation et l’exportation par la voie Douala-Bangui qui nous coute trop cher et est trop engorgée, nous miserons sur la voie Bangui-Kinshasa-Matadi qui donne accès sur l’atlantique. Nous voulons aussi privilégier l’axe Bangui-Nyala-Port Soudan qui donne accès au marché asiatique. Hormis ces projets il y a aussi le système de crédit productif pour dynamiser l’économie locale. L’Etat octroiera des crédits aux femmes, car elles sont de meilleures gestionnaires et les plus dynamiques, pour produire avec un soutien et un suivi de l’Etat.

ESPRIT AFRICAIN : L’intégration sous-régionale en CEMAC n’est toujours qu’une vue de l’esprit contrairement dans la CEDEAO. Quel serait votre apport pour sa réalisation ?

Tahéruka Shabazz : C’est un sujet très important que vous aborder, car c’est vrai que sans les pays de la CEMAC et de CEEAC, la Centrafrique n’en serait pas là aujourd’hui. Sur le plan de l’intégration je pense que c’est un problème de volonté politique, nous n’avons malheureusement pas d’homme politique moteur, le Président Bongo durant la fin de sa vie contrairement au Bongo dans ses débuts qui était plus brutal , avait quoi qu’on puisse dire le soucis de faire régner la paix , c’est pourquoi il s’est beaucoup investi dans la crise en RCA et d’ailleurs la situation était plus apaisée qu’aujourd’hui. Je pense qu’il manque de locomotive, il n’y a pas un homme d’Etat en Afrique centrale qui puisse  servir de locomotive, nous sommes prêts à jouer ce rôle là de moteur et de locomotive car nous avons une vision panafricaine qui va pousser les autres à l’intégration.

ESPRIT AFRICAIN : Alors que l’Afrique connait une croissance économique depuis quelques années, elle fait face à plusieurs fléaux : Ebola, Boko haram, l’immigration clandestine, l’émergence des groupes séparatistes qui tuent des centaines d’africains par mois. En tant que panafricain, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Tahéruka Shabazz : En tout cas ça me pousse à réfléchir sur la situation dans laquelle nous nous trouvons, parce que même si nos frères meurent pour aller en Europe, la situation de ce continent n’est pas aussi enviable malgré le fait qu’on nous montre le contraire. Ceux et celles qui sont avertis savent que l’Europe va bientôt plonger dans un chaos économique politique et social au point où il sera très dangereux pour nous africains d’y vivre quand on sait qu’ils accusent toujours les étrangers quand ils sont en crise. Ce qui manque à nos hommes politiques c’est une analyse froide de la géopolitique, il y a ce que j’appelle un « couloir de crise » du le golf de guinée au golf du Mozambique qui voit apparaitre, Boko Haram, les SELEKA , Les LRA, les Shebab,  le M23 et j’en passe,  dans les pays où il y a énormément de richesses minières, énergétique. Quand ce ne sont pas des guerres, ont voit apparaitre des maladies endémiques telle que Ebola. Donc nous devons savoir qu’il y a une conspiration contre l’Afrique et nous devons en prendre conscience. C’est un mal de ne pas savoir comment répondre à ces maux. C’est pourquoi nous panafricains, contrairement aux libéraux ou au socialistes du continent, avons une grande responsabilité qui nous interdit de juste dénoncer mais plutôt d’agir. C’est ce que nous essayons de faire au PRP pour inverser la tendance parce que c’est le panafricanisme qui a toujours sauvé le continent, c’est lui qui nous a donné les indépendances même si sa vision a été dévoyée très vite.

ESPRIT AFRIACAIN : La mission de l’ONU a remplacé  celle de la CEMAC ? Pensez-vous que nous aurons à faire à la Somalisation de la RCA avec cette mission ?

Tahéruka Shabazz : C’est vrai que la mission de l’ONU à savoir la MINUSCA mettra plus de temps que la mission Africaine qui prend fin en Avril 2015. Nous veillerons à ce qu’elle ne stationne pas ad vitam aeternam en RCA même si nous savons que notre pays bat le triste record des pays qui ont reçu le plus de mission sur son sol, une dizaine : MISSAB, FOMAC, MINURCA, MINUSCA  et d’autres ; Il faut savoir que les missions de l’ONU n’ont jamais produit de résultat. On se rappelle des missions en Somalie où il y avait 38000 soldats qui n’ont pas trouvé de solution, nous ici c’est 12000 soldats qui ont été envoyés pour un pays aussi grand que la Centrafrique. De plus ce n’est pas par la voie militaire que nous trouverons une solution car dans notre logique panafricaine, nous pensons que le militaire est subordonné au politique. On ne peut pas envoyer des militaires sur le terrain s’il n y a pas de vision politique. On comprend dès lors qu’il y a des gens qui ont des intérêts autres que ceux des Centrafricains puisque les solutions viennent d’ailleurs. Le président Déby avait même fait cette remarque, il dénonçait les différents agendas  des pays intervenant en  la RCA dont le sien et la France, qui n’étaient pas forcément en faveur des Centrafricains.

ESPRIT AFRICAIN : Un dernier mot au peuple Centrafricain au sujet de votre candidature et un autre à la jeunesse africaine ?

Tahéruka Shabazz : Je suis un grand lecteur de livre sacré et dans la bible on dit : « Mon peuple meurt faute de connaissance » donc j’invite les uns et les autres à se rendre sur les sites comme le votre pour s’informer sur ce qui se passe sur le continent, de cesser de se donner pieds et mains liés aux médias occidentaux, à ces gens qui ont des intérêts divergents aux nôtre. Nous avons l’obligation de nous renseigner,  d’interroger nos dirigeants, de contrôler leur travail. C’est ce à quoi j’invite nos compatriotes africain, CONTROLER VOS DIRIGEANTS, vous avez ce droit. Nous devons prendre nos responsabilités et ne plus dénoncer. Soyez révolutionnaires dans vos domaines respectifs, soyez les meilleurs dans l’action car nous n’avons jamais été aussi fort. La candidature du PRP aux élections présidentielles est un combat panafricain et nous comptons sur tout le monde pour redonner à l’homme et à la femme Africaine leur pleine dignité.

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Auteur·e

espritafricain

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