Hamed boutiquier malgré lui à dix ans

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Attaché à la protection et à l’épanouissement des enfants en Afrique, Esprit Africain aborde cette fois-ci le sujet des enfants boutiquiers à travers l’histoire d’un jeune Guinéen qui travaille malgré lui dans une boutique à Dakar. Son histoire illustre le drame des enfants exploités au profit des personnes très mal intentionnées. 

Ces informations m’ont été données par le jeune homme lui-même.  

 Son prénom est Hamed, c’est un jeune Guinéen de 14 ans qui vivait il y a encore 4 ans avec son père sa mère et ses trois sœurs dans le village de Lelouma dans la région de Labé en Guinée- Conakry. Il est le benjamin de la fratrie et comme les enfants de son âge il fréquentait l’école primaire N’dantari jusqu’en 4e année. C’est une période de sa vie assez fraîche dans sa tête, car il se rappelle encore quand il jouait au football dans la cour de l’école ou dans le quartier avec ses quelques camarades de classe ou des amis.

Comme dans toutes les familles africaines, les parents se débrouillaient avec le peu qu’ils avaient et se le partageait en famille et même avec les voisins. Mais bien des années avant sa naissance, c’est-à-dire dans les années 80, son père décida d’aller tenter sa chance au Sénégal en tant que boutiquier pour subvenir aux besoins de la famille qui commençaient à augmenter avec la naissance de ses grands frères et sœurs. Pendant près de 29 ans de sa vie il fut boutiquier.

Se sentant vieillir après tant d’années d’efforts, le père jugea nécessaire de raccrocher et de léguer ses deux boutiques à ses deux aînés qui étaient déjà assez grands pour le remplacer. Comme il avait été décidé, les deux aînés le remplacèrent effectivement et comme lui, ils ont aussi passé de longues années à travailler en tant que boutiquiers à Dakar. A l’heure où j’écris ce billet, ça fait 15 ans qu’ils font ce travail.

Le retour du père au village a été un soulagement pour la mère, les trois filles et Hamed. Ils pouvaient enfin passer assez de temps avec lui et partager ensemble des moments agréables. Pour Hamed toutes ces bonnes choses allaient bientôt prendre fin, car ses deux grands frères qui étaient au Sénégal demandèrent à leur père de l’envoyer à Dakar pour devenir boutiquier comme eux et comme leur père avant.

Le père n’était pas d’accord, car il savait que ce métier n’était pas bon pour l’avenir de son benjamin. Il résista aux incessantes demandes de ses deux fils qui semblaient déterminés à faire venir le petit frère. Hamed avait 10 ans et n’était pas très enthousiaste. Alors que les enfants de son âge rêvent de devenir footballeur, avocat, docteur ou policier,  on lui imposait de devenir boutiquier.

La décision avait été prise, il devait aller travailler à Dakar. Contrairement à ses aînés, le père l’avait inscrit dans une école de formation en mécanique afin qu’il apprenne un métier qu’il pourrait exercer dès qu’il ne serait plus boutiquier. Mais bien avant la fin de sa formation, il partit pour la grande ville du Sénégal.

Les débuts du nouveau métier

Les débuts en tant que boutiquier n’ont pas été faciles pour Hamed. Pendant deux ans ses frères lui enseignèrent comment gérer une boutique. Après ces années d’apprentissage, ils s l’envoyèrent un an après travailler dans une autre boutique auprès d’un gérant formateur  que ses frères connaissaient bien. C’est dans cette boutique que j’ai fait la connaissance de Hamed cela fait un an aujourd’hui.

Jeune homme très intelligent et éveillé, il a toujours été courtois même dans ce travail qu’il déteste. Chaque jour nous discutons quand je viens acheter un produit, il m’explique ses difficultés, ses aspirations, son mécontentement. Pour lui : « Ce travail est mauvais pour la tête, tu ne peux pas seulement garder dans la tête les prix de ces produits-là. Ce n’est pas bon ! » Il ajoute « … Je vais démissionner et aller continuer ma formation en mécanique. Parce que quand tu travailles ici tu ne fais rien de ta vie. » Assez jeune, mais soucieux de son avenir.

Depuis qu’il est au Sénégal il n’a pas d’amis et ne peut rien faire d’autre à part vendre, il est très peu en contact avec ses parents en Guinée. Son formateur actuel refuse même qu’il parle avec sa mère trop longtemps, pourtant ce dernier est du même village que lui et connaît ses parents.

Selon Hamed, ils sont plusieurs enfants de son village à Dakar et on voit peu d’enfants à Lelouma qui ont 10 ans, car tous sont envoyés ici pour travailler dans les boutiques.  C’est dire à quel point ce trafic décime le village.

Les mauvais traitements qu’il subit et même d’autres comme lui ont aiguisé ma curiosité sur les boutiques de quartier.

Les boutiques de quartier à Dakar

Dans la capitale sénégalaise, les boutiques de quartier sont quasi totalement contrôlées par la communauté guinéenne, c’est un réseau de plusieurs milliers de boutiques disséminées à travers les coins et les recoins des quartiers et qui font travailler des milliers d’enfants guinéens. Elles sont partout, on ne peut pas faire 50 mètres sans en apercevoir une.

Où se couche Hamed
L’endroi toù se couche Hamed (Barack N.M)

Ce sont de petites boutiques dans lesquelles on retrouve un peu tous les vivres et les non-vivres utilisés quotidiennement. C’est également à l’intérieur de ces boutiques que dorment les boutiquiers, souvent dans des conditions qui ne sont pas respectueuses de la personne humaine. Le travail est méticuleusement organisé, il y a le plus souvent deux boutiquiers qui servent et un contrôleur journalier qui vient vérifier les comptes.

Les deux personnes qui servent : un adulte (25-30 ans) qui est le formateur du second qui est encore tout jeune (10-15 ans). Ce dernier est formé pendant un temps, si son rendement n’est pas bon il est envoyé dans une autre boutique plus petite pour y être davantage formé. Dans le cas contraire, on lui confie la gestion d’une boutique et à la suite un apprenti pour qu’il le forme aussi.

Les formateurs ont eux aussi été apprentis. Ils ont appris  durant de longues années comment gérer une boutique, la maîtrise parfaite et par cœur des prix de tous les produits exposés, le contrôle des recettes journalières, le conditionnement en sachet de 25 F CFA 50 F CFA 100 F CFA des produits comme le lait en poudre, la tomate concentrée, l’huile, le beurre, le Nescafé, le fromage, saucisson, moutarde, mayonnaise, la gestion des stocks et des approvisionnements, etc. Le travail c’est 24/24 7 j/7, un apprenti comme Hamed n’a que 4 H de sommeil par jour pendant que son formateur en a plus.

Le formateur et l’apprenti sont très inégalement rémunérés alors que c’est l’apprenti qui fait le gros du travail. Hamed m’explique

Où se couche son formateur
L’endroit où se couche son formateur ( Barack N.M)

que la boutique où il travaille fait au moins 400 000 F C FA  de recettes mensuelles sinon plus. Son formateur est payé à 150 000 FCFA par mois alors que lui est payé à 20 000 à 25 000 F CFA tous les deux mois. Si les bénéfices ne sont pas importants, il n’est alors pas payé ou son salaire est diminué. Il précise que si l’apprenti souhaite que son salaire soit augmenté au vu des bénéfices générés, le gérant lui demandera de justifier cette demande -légitime-  et est libre d’accepter ou de refuser.

La situation déplorable de son formateur a renforcé le désir de Hamed d’arrêter ce travail aliénant. Il m’explique que celui-ci à lui aussi fait 15 ans au Sénégal comme ses deux frères, pourtant il n’a rien construit dans sa vie à part être marié avec une Guinéenne restée au pays. Il a compris que ce travail ne correspondait pas à ce qu’il voulait pour sa vie, c’est pourquoi il a décidé de démissionner pour ne pas finir comme son formateur ou ses frères.

La vie que mène Hamed n’est en aucun cas insolite, car à Dakar des milliers d’enfants guinéens de son âge et moins encore vivent la même chose sinon pire. Certains parmi ces milliers d’enfants sont battus pour n’avoir pas assez travaillé. Ils ne se nourrissent d’ailleurs pas convenablement, car hormis le riz et l’huile qui sont gratuits le reste doit être payé par les apprentis. C’est inconcevable ce traitement que ces hommes infligent aux enfants.

D’autres enfants ont arrêté ce travail pénible, comme Mohamed qui est parti au Mali. C’est l’apprenti que Hamed a remplacé dans la boutique où je le rencontre. J’ai connu ce Mohamed, jeune homme élancé qui semblait détester aussi ce travail. Avant lui il y avait Hassan, je ne sais pas où il peut-être aujourd’hui. Plusieurs enfants se succèdent ainsi dans ces boutiques sans que cela n’émeuve quelqu’un ou les autorités.

Je me demande toujours pourquoi les enfants paient toujours le prix fort en Afrique. Au Sénégal beaucoup doit-être fait pour protéger les enfants, beaucoup est déjà fait, mais de gros efforts supplémentaires doivent encore être fournis. Comme je l’ai dit dans mon article sur LES ENFANTS TALIBES AU SÉNÉGAL «des organismes étatiques sont créés pour mener cette lutte, que faut-il de plus pour que les choses changent ? Les moyens ? La volonté politique ? Je me demande bien » La question reste jusqu’à maintenant ouverte, pendant ce temps d’autres enfants sont envoyés au Sénégal pour être exploités.

CET ARTICLE EST DÉDIÉ A TOUS LES ENFANTS QUI SONT MALTRAITES EN AFRIQUE.

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Auteur·e

espritafricain

Commentaires

Senioriales
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Vous choisissez toujours des thèmes passionnants ! merci encore !

Barack Nyare Mba
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Merci...Nous devons parler de l'essentiel pour changer l'Afrique

bouba68
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Bon travail!!!!!!!!!!!!

Barack Nyare Mba
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Merci Bouba !!